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 Le roman noir américain
Sur fond de prohibition, la question n'est plus tant de savoir
"qui a tué ?" mais "pourquoi ?". Le climat est à la violence de la
pègre et à la corruption. C'est dans cette atmosphère un peu lourde
que les dime-novels (petits magazines bon marché, équivalent de nos
feuilletons) du début des années 20 donnent naissance aux pulp (dont le
fameux Pulp Black Mask). La voie est ouverte à l'école du roman noir
américain, avec Dashiell Hammett comme père fondateur
et
L'incendiaire (sa première nouvelle) comme principal repère.
Le crime et l'enquête qu'il déclenche ne disparaissent pas, mais
le détective devient un révélateur. C'est un homme de terrain, souvent
cynique et désenchanté, malmené par les aléas de sa quête. Dès lors, le
roman noir s'ancre fermement dans une réalité sociale et politique et
rend compte de la violence qui y sévit. Les pages de ces romans
dégagent une forte odeur de poudre, de sang et de bourbon " single malt
". C'est le début le la série des détectives légendaires. Le premier
de cette lignée de hard-boiled est Race Williams crée par
Carroll John Daly dans Le faux Burton Combs
(nouvelle écrite en 1922), mais son style primaire le condamne vite aux
oubliettes.
Avec Dashiell Hammett, on entre de plein fouet
dans cet univers réaliste et un peu glauque. Ici on ne fait plus appel à
l'intelligence du lecteur mais à son cran et à ses tripes. On est dans
l'action, loin des salons du roman à énigme. Les rues sont dangereuses,
les meublés crasseux, les arrières salles enfumées et les personnages
troubles.
Chez Hammett, la vengeance s'exerce et le
coupable trouve souvent la mort, révélant ainsi une critique acerbe des
institutions américaines (ce qui lui vaudra même d'être emprisonné par
MC Carty). La moisson rouge (1929) et Le sang maudit
(1929) révèlent déjà la corruption du monde des affaires et de la classe
politique, à travers le héros anonyme de la Continental Op. Dès Le faucon
de Malte (1930), le rôle du privé est confirmé avec Sam Spade.
Suivront La clé de verre (1930) et L'introuvable
(1934).
Raymond Chandler, fasciné (mais jamais
influencé) par Hammett se lance dans l'écriture en 1939
avec Le grand
sommeil, donnant naissance au célébrissime Philip
Marlowe dont l'épopée couvre sept romans : Le Grand Sommeil
(1939), Adieu ma jolie (1940), La Grande Fenêtre (1943),
Fais pas ta rosière (1949), Sur un air de navaja (1953,
prix Edgar Poe), Charade pour écroulés (1958), une nouvelle
The Pencil (écrite en 1958, publication posthume en 1960) et un
roman inachevé The Poodle Springs Story dans lequel Marlowe se
marie.
Dans ces romans, les morts prolifèrent comme autant de critiques d'une
cité corrompue où la police est brutale, les médecins marrons, les
gangsters tout puissants. Son écriture très visuelle lui permet de
planter parfaitement les décors et les atmosphères (même si certains lui
reprocheront d'oublier parfois l'intrigue) en faisant un client idéal
pour le cinéma. Mais Chandler est un collaborateur difficile et
alcoolique (selon lui, Hitchcock et Highsmith sont mauvais !). Il finit
par se retirer et meurt en 1959. Notons enfin qu'il fût un théoricien
du roman criminel moderne. Il écrivit ainsi L'art d'assassiner ou,
la moindre des choses (1944).
William Irish commence lui aussi par écrire de
nombreuses nouvelles (plus d'une centaine entre 1935 et 1939) dans les
Dime détective et Black Mask C'est sous le nom de Woolrich Cornell qu'il
passe au roman et publie La mariée était en noir
(1940) puis poursuit avec cinq autres titres qui composent sa célèbre
suite en noir : Retour à Tillary street, Alibi noir, Ange
(1943),
Une peur noire (1944) et Rendez-vous en noir. Etant
très prolixe il choisit de prendre un pseudonyme pour pouvoir tout
publier. C'est donc William Irish qui écrira Lady fantôme
(1942),
L'heure blafarde (1944), La sirène du Mississipi (1947)
et J'ai
épousé une ombre (1948).
Mais la maladie de sa mère avec qui il vit
le plonge dans une longue période de silence, et quand cette dernière
meurt en 1957, Irish s'enfonce définitivement dans la solitude,
l'amertume et l'alcoolisme. Amputé d'une jambe suite à une gangrène, il
meurt quelques mois plus tard d'une attaque, un peu oublié. Il n'en
demeure pas moins le maître du roman à suspens, le roi des machinations
qui entraînent ses personnages dans un combat initiatique et décline
avec art la substitution d'identité, l'erreur judiciaire ou l'attente
tendue d'une menace inconnue (définition même du suspens).
Et quand les grands font des petits (et c'est une façon de
parler, non une question de taille !) :
William Riley Burnett se rend célèbre avec
Le
petit césar (1929), biographie d'un gangster sans doute inspiré
d'Al Capone. Il publie ensuite Quand la ville dort (1949),
Rien dans les manches (1951) et Donnant, donnant (1952)
; trilogie urbaine qui fait de lui le chroniqueur du monde des
gangsters. Il obtiendra l'Oscar du meilleur scénario pour La
grande évasion en 1962.
Le facteur
sonne toujours deux fois (1934) et Assurance sur la mort
(1936) de James Cain décrivent un monde sans dieu,
guidé par le sexe et l'argent. (on retiendra surtout le premier titre !)
Horace MC Coy est l'écrivain maudit du roman
noir (enfin c'est surtout lui qui le dit !). Journaliste sportif, il
écrit Un linceul
n'a pas de poches (1937) qui ne sera publié qu'en 1948. Mais
il reste surtout l'auteur de On achève bien les chevaux
(1935).
Jim Thompson est lui l'auteur " célinien " de
livres à la noirceur désespérée. Ses personnages forment une galerie de
portraits pathétiques d'une Amérique monstrueuse : un shérif pitoyable
dans 1275 âmes
(le chef d'œuvre, choisit comme n°1000 de la Série noire), un
représentant paranoïaque dans Des cliques et des cloaques
(1954), un journaliste alcoolique dans M.Zéro, un garçon
névrotique dans La mort viendra, petite ou un tueur à gages
dans
Nuit de fureur. Criminels psychopathes ou bourreaux ordinaires
dont le malheur vient du seul fait d'exister. Quelques autres grands
romans : Le démon dans ma peau (1952), Eliminatoires
(1957) ou Le lien conjugal (1959). A noter qu'il travailla
également avec Stanley Kubrick sur les scénarios de L'ultime razzia
(1956) et Les sentiers de la gloire (1957).
David Goodis commence à écrire comme reporter,
explorant les zones sordides et les bas-fonds, allant jusqu'à se déguiser
en clochard pour saisir ses impressions sur le vif. Son second roman Cauchemar
(1946) sera immédiatement acheté par Hollywood et adapté par Delmer
Daves en 1947 (sous le titre Les passagers de la nuit). Goodis
travaille alors comme scénariste pour la Warner avant de sombrer dans
l'alcool et de mourir à à peine 50 ans en 1967. Il laisse une œuvre
d'une grande unité thématique avec des romans dont les personnages sont
essentiellement des poissards brisés par la vie, déchus qui s'animent
dans un dernier sursaut de dignité avant la chute finale. De grands
blues littéraires comme La nuit tombe, Epaves, Sans espoir de
retour, La police est accusée ou Tirez sur le pianiste
(adapté au cinéma par Truffaut en 1957).
Le roman noir américain c'est aussi Chester Himes,
l'écrivain noir du roman noir qui arrive en France après 7 ans de
pénitencier pour vol à main armé. De sa rencontre avec Marcel Duhamel
naît La reine
des pommes (1958) et Fossoyeur Jones et Ed Cercueil,
deux flics violents que l'on retrouve au long de 9 romans dont le
dernier
Plan B publié inachevé. Egalement L'aveugle au pistolet
(1963), Affaire de viol (1963) et Fin d'un primitif
(1955).
Ou encore :
 Mickey Spillane, créateur du privé Mike Hammer
: J'aurai
ta peau (1947), Fallait pas commencer (1950), Dans
un fauteuil (1951) et Nettoyage par le vide (1951) (où
n'apparaît pas Hammer).
Erle Stanley Gardner criminologiste et juriste
père de Perry Mason " avocat du diable ",
Ed Mc Bain et son commissariat du 87ème
district (il est également le scénariste des Oiseaux),
James Hadley Chase et ses 89 romans dont
plusieurs classiques du genre : Pas
d'orchidées pour Miss Blandish (1945) (numéro 3 de la Série
Noire), Eva, Le requiem des blondes, Traquenards, La main dans le
sac
ou Lâchez les chiens...,
Jonathan Latimer et son détective Bill Crane
dans Bacchanale au cabanon (1935), Comme la romaine
(1935), Quadrille à la morgue (1936), Les morts s'en
foutent (1938) et Gardénia rouge (1939),
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