 De l'espionnage
Si le roman policier met en scène des intérêts privés, le
roman d’espionnage fait appel à la raison d’Etat. C’est on s’en doute, un
style en phase avec l’actualité politique et historique.
C’est donc logiquement que le genre naîtra en tant que tel des cendres
de la seconde Guerre Mondiale, puis de la Guerre Froide ; permettant
d’explorer les rouages de l’information (même si les années soixante
prennent un peu de marge par rapport à la réalité pour créer sa propre
mythologie, à l’instar de Ian Fleming).
Ce n’est donc pas un hasard non plus si la grande majorité de ces
auteurs ont connu la guerre et/ou les services de renseignements.
Le roman d’espionnage est un genre où les Anglais (et donc le Foreign
Office) sont largement représentés.
 Ian Fleming,
officiellement correspondant pour le London Times ou Reuters,
officieusement missionné par le Foreign Office, part pour
des vacances bien méritées en Jamaïque en 1953 après moult
pérégrinations. C’est là que lui vient l’idée de son personnage, l’agent
007, l’inégalable James Bond (en admettant qu’il soit encore nécessaire de
le présenter !).
Premier manuscrit : Casino royal en 1954 (dont l’adaptation
cinématographique n’entrera pas dans le clan des
« officielles »), puis Vivre et laisser mourir en 1954,
Bons baisers de Russie (1957).
Le phénomène, déjà frémissant (les Kennedy s’avouent conquis !),
va exploser en 1962 avec la sortie au cinéma de James Bond contre le
Docteur No.
Le super-espion, modèle du genre, apparaîtra ainsi dans 13 romans (14
si l’on compte le recueil de nouvelles Octopussy) et plus de 20
films. Il survivra même à son créateur. A la mort de Ian Fleming
Kingsley Amis ou Robert Markham
reprendront le flambeau, sans parler des novélisations.
John Buchan, lui aussi était
officier de renseignements pendant la guerre, puis directeur du service
d’information du War Cabinet britannique. Son expérience lui inspirera
Richard Hannay, espion qui traque inlassablement les ennemis menaçant
l’Angleterre (et selon lui, ils on l’air nombreux !)
Graham Greene utilisera également
son expérience au Foreign Office pendant la guerre, et s’inspirera des
récits de John Buchan pour écrire la partie « ententainment » de son œuvre
(par opposition au « sérieux » novels).
Dans L’agent secret (1939), Ministère de la peur (1943)
ou Facteur humain (1978), il se sert ainsi des stéréotypes du genre
pour explorer son époque. Il ira jusqu'à la satyre avec Notre agent à
la Havane (1958) où le schéma technique d’un aspirateur est vendu
comme le plan d’une base secrète.
John Le Carré est un
autre membre du Foreign Office (décidément véritable vivier
d’écrivains !). Son expérience l’éloigne des schémas du super espion
pour l’entraîner dans l’exploration des dessous du monde féroce et cynique
de l’espionnage.
L’espion qui venait du froid (1963) est déjà un grand classique.
Un pur espion (1986), La taupe (1974) ou La maison
Russie (1989) sont également de beaux succès de librairie (puis en
salle).
Eric Ambler serait-il donc le seul
à ne pas être espion de profession ? Ca se pourrait bien ! Mais
cela ne semble pas le gêner quand il s’agit de manier une arme bien
dangereuse et redoutablement efficace : le mensonge. Il se place donc
loin de l’univers des espions professionnels. Ici c’est un enseignant
devenu auteur de polar (Le masque de Dimitrios), un professeur,
photographe amateur pris pour ce qu’il n’est pas (Epitaphe pour un
espion) ou un ingénieur mêlé à un coup d’état (Visiteurs de
l’aube). Dans L’affaire Deltchev, c’est l’histoire qui
l’inspire (en l’occurrence les procès spectacle organisés par
Staline).
Bref, un large
univers très documenté où la fiction dépasse bien la réalité (même si
l’étourdissant scène de cambriole de La nuit d’Istanbul servit
sans doute de modèle pour le cambriolage du Metroplolitan Muséum de New
York !!)
Mais la France n’est pas en reste.
Pierre Nord (il est né
au Cateau (Nord), d'où le choix de son pseudonyme) est
le père du roman d’espionnage français. Il quitte l’armée en 1946 après un
parcours mouvementé (Arrêté par les allemands pendant la première
guerre mondiale, condamné à mort, gracié, déporté, blessé puis chef des
Services spéciaux, il s'évade et anime l'Armée secrète…)
Double crime sur la ligne Maginot
est son premier roman, Terre d'angoisse obtient le Grand Prix du
roman d'aventures 1937, Mes Camarades sont morts ouvrage sur La
Guerre secrète 1940-1945 est considéré comme un manuel du renseignement.
Huit de ses soixante-dix romans ont été portés à l'écran (dont Le
Serpent réalisé par Verneuil, tiré du Treizième
Suicidé).
Jean Bommart revient blessé
de la guerre en 1916. Il devient journaliste avant d’être
cloué au lit pendant trois ans par une grave maladie et de se mettre à
l’écriture dans les années trente: des nouvelles s’inspirant des
intrigues internationales et des histoires d'espionnage qu'il a connues ou
vécues. En 1932, il obtient le Prix du Cercle littéraire avec Le
Revenant et en 1934 celui du Roman d'aventures avec Le Poisson
chinois, où il crée le personnage du capitaine Sauvin (qui a la
particularité d’être d’une parfaite laideur) qui reparaît dans une série
d’une vingtaine de volumes (dont Le Poisson chinois a tué Hitler ).
Enfin, Robert
Ludlum ressuscite à lui tout seul la question
suivante : les Américains sont-ils tous paranos ? Tous,
peut-être pas. Mais Ludlum c’est certain ! Il en fait même sa
spécialité, des thrillers d’espionnage paranoïdes. En tête l’inquiétante
trilogie Jason Bourne La mémoire dans la peau (1980), La mort
dans la peau (1986) et La vengeance dans la peau
(1990)
Sans oublier :
 Somerset
Maugham, M.Ashenden, agent secret
Joseph
Conrad, L’agent
secret
Peter O’Donnell et son James
Bond au féminin Modesty Blaise
Un peu en marge du roman d’espionnage à proprement parlé,
on peut tout de même citer Leslie
Charteris (c’est bien un homme comme son prénom ne
l’indique pas) et son inénarrable Simon Templar alias Le Saint (à
cause de ses initiales) et ses innombrables aventures (au moins une
cinquantaine). Ce personnage entre Robin des Bois et D’Artagnan, un peu en
délicatesse avec les autorités policières entame ses aventures en
1928.
Une vie d’intrigues et d’aventures à l’image de celle de
son créateur (Charteris a potassé le droit, la criminologie et des
romans policiers pendant son séjour à Cambridge, a été planteur en
Malaisie, a travaillé dans une mine d'étain ou cherché de l'or dans la
jungle, des perles dans la mer…).
A noter que Librio propose de nouvelles traductions (rappelant
qu’avant d’être une série Roger Moorisée, c’était bien un personnage de
roman)
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